La Boutillerie, à Wattrelos (59)
« Notre énergie pour faire toutes ces choses, c’est grâce au collectif. »
Entretien avec Ute et Max, habitant·es de la Boutillerie
La Boutillerie est une ancienne ferme du Nord, toute en briques blanches, organisée autour de sa cour carrée. Bordée par un grand terrain de 5 000m2 et ses arbres anciens, elle est un petit havre de verdure dans le paysage un peu gris du Nord, marqué par les cultures intensives. Construite à Wattrelos au 18e siècle, c’est l’une des dernières fermes du territoire à être restée intacte. Commune d’environ 40 000 habitant.es, Wattrelos est en périphérie de l’Eurométropole de Lille et dans la zone frontalière avec la Belgique, tapissée de néons et de night-shops. Un territoire « péri-urbain sur le déclin, un peu délaissé, où tout est à faire ».
La Boutillerie, c’est surtout un collectif de quatre familles, 8 adultes et 7 enfants, toutes des filles. « Les filles » ont de 8 à 12 ans et cette aventure participative forge de solides liens entre elles : « c’est beau à voir. Elles ont eu le temps de grandir depuis qu’elles sont arrivées ici, les liens changent, s’ajustent et évoluent au fur et à mesure de leur croissance. »
La Boutillerie
- Commune et territoire : Wattrelos (59) – Centre urbain, zone frontalière
- Type d’habitat : ferme en cours de réhabilitation et trois habitats légers (yourte, mobil-home, cabane en bois)
- Date d’entrée dans les murs : 2021
Des premières recherches à l’installation : un chemin en commun
Le groupe d’ami·es acquiert cette ferme en janvier 2021, grâce à des financements participatifs. Monté en SCIA*, aucune banque n’a voulu leur octroyer le prêt nécessaire à l’achat. C’est donc grâce à la solidarité financière entre les 4 familles et à d’importants prêts d’amis et de proches que la ferme a pu être achetée. Un refus des banques que Ute déplore :
« Cela nous a beaucoup marqué. Le symbole de ce refus est fort. On a vraiment ressenti du mépris de la part des banques et des professionnels de l’immobilier, comme si le fait de vouloir mettre les choses en commun était quelque chose de dangereux pour la société. Le fait d’être interdépendant·es les un·es des autres rendait le projet fou aux yeux des banquiers, alors qu’au contraire, notre solidarité nous rend robustes et heureux. »
Le projet et la solidarité au sein du groupe étaient déjà en marche bien avant l’achat du lieu. Les 4 couples se sont rencontrés lors de travaux au sein de l’école où leurs filles étaient scolarisées. « On n’a pas pensé que le projet démarrerait seulement avec l’achat d’un lieu ou une fois qu’on aura fini le travaux. On s’est toutes et tous formés tout de suite à la sociocratie et à l’intelligence collective avant même de vraiment commencer le projet. On vit le chemin comme quelque chose d’essentiel, vivre les choses sans délais, sans attendre, expérimenter maintenant.»
Les travaux à réaliser sont conséquents : la toiture à refaire, des murs à abattre, les sols à décaisser, des tuyaux à tirer, l’électricité à refaire, etc. En parallèle des travaux qui s’étalent dans le temps et tout en auto-réhabilitation, une partie du groupe habite en habitats légers, une yourte, un mobil-home et un studio temporaire aménagé dans la grange. Une aile et demie de la ferme est destinée aux logements, l’autres aux espaces communs : cuisine, salle commune et chambres d’ami.es. La grange est conservée pour les projets culturels ou autres à venir.
Les choses s’y passent de manière organique. En plein milieu des travaux, la famille de Max tient à garder temporairement une ancienne chambre en l’état en guise d’annexe à leur mobil home. Cela ne semble pourtant guère pratique pour le cheminement des travaux tout autour et risque peut être de retarder l’avancée. Mais finalement ce petit îlot encore chauffable aux papiers peints décatis devient quelques temps le refuge poétique des rassemblements du collectif au milieu de la destruction en cours.
Un projet tout en poésie, pour et avec le territoire
La Boutillerie, c’est aussi une aventure collective toute en poésie, profondément connectée avec le lieu, son territoire et son histoire. Dès son arrivée dans les murs, le collectif a réuni pour un temps d’échanges et de rencontre, le couple d’exploitants agricoles qui a fait fonctionner la ferme jusqu’à dans les années 1970, les anciens propriétaires qui leurs ont succédé, mais aussi les voisines et voisins. Une manière de s’inscrire dans une continuité et de faire vivre la mémoire du lieu.
Pour Max, «Le fait d’investir cet endroit à plusieurs familles nous amènent de fait à l’habiter différemment, à nous relier au quartier. On est tous et toutes des « cultureux » dans le groupe, c’est assez facile pour nous d’organiser des évènements. Quand on organise un évènement, on sait que ça va nous prendre de l’énergie et 2-3 jours de travail. Mais on est toujours largement récompensé.es par l’énergie qu’on reçoit en retour des personnes qui viennent. »
Trois à quatre fois par an, le collectif invite le public à franchir le porche de la ferme. Environ 80 personnes assistent aux évènements culturels organisés à la Boutillerie : « on tracte des affichettes dans chaque boite aux lettres du voisinage. Ça donne toujours des rencontres très chaleureuses. »
« On tisse les liens depuis quatre ans avec le quartier et les voisins. On a découvert qu’il y avait un couple qui fabriquaient des instruments médiévaux, un poète, une chanteuse, etc. On veut être un lieu de rencontre à la Boutillerie. On essaye d’amener un petit pas de côté dans la vie du quartier. Un jour, nous aimerions organiser une guinguette régulièrement, et qui sait, quand nous serons vieux des thés dansants. »
Des liens qui ne vont pas toujours de soi, qui sont toujours "à remettre sur le métier" :
« En juin dernier, nous avions envie d’organiser une journée festive baptisée Poésie Watt. On sait bien qu’avec un nom comme cela, on attire moins les voisins que si on propose un château gonflable ouvert à toutes les familles du quartier. Mais c’est ce qu’on aime bien aussi : être là pour bousculer légèrement les idées reçues, se dire que la poésie est présente de mille façons et que cela peut évidemment nous rassembler. Mais voilà, notre événement se retrouve pile entre les élections européennes et le premier tour des législatives. Le taux de vote extrême doite dans la ville est colossal. On est sidérés que ce soit à ce point.»
« On pense à nos voisins qu’on aime bien, auxquels on s’attache. On se fait une réunion d’urgence un soir pour échanger : qu’est ce qu’on fait pour notre « poésie watt » ? Très vite, on tombe d'accord sur le fait qu’on ne veut pas fermer nos portes, qu’on ne veut pas mettre une banderole sur notre porche « dehors les fachos ». Et puis on accouche d’un truc tout simple : le jour de l’évènement, on questionne chacun des visiteurs sur ce à quoi il tient dans le quartier, ou ce qu’il entretient qui n’est pas à lui, ou un truc du quartier qui le met en joie. Et au fur et à mesure qu’on les recueille, on les écrit à la craie sur notre immense porte d’entrée de la cour, sur le côté qui donne vers le quartier. C’est une toute petite idée totalement inefficace et « non rentable » mais pourtant elle a participé au fait que cette journée était emplie de douceur. Et tant que la pluie ne les a pas toutes fait disparaître, ces petites phrases sont restées inscrites dans le quartier, comme un fragile ciment nous reliant. »
Infos complémentaires et ressources
Le site plein de poésie de la Boutillerie : https://www.laboutillerie.fr/?Home
La Société Civile d’Attribution (SCIA) : https://www.habitatparticipatif-france.fr/?SciaSccc
Informations utiles
Contact : contact@habitatparticipatif-france.fr